< Vague scélérate, Lyon, 2009 Pièce aveugle, Nice, 2010 >

Penser rêver, Paris, 2009

Galerie Chez Valentin

rideau de fer
  • rideau de fer
  • rideau de fer, partition pour tous
  • mur de sable, tapis, escabeau
  • mur de sable
  • partition pour tous
  • journaux
  • journaux
  • tapis
  • rideau de fer
  • partition pour tous
  • pluie permanente
  • mur de sable, collection MUDAM 2011, Luxembourg
  • mur de sable, collection MUDAM 2011, Luxembourg
  • tapis
Précédente Suivante

rideau de fer

Fil et tubes d'aluminium, 230 x 420 cm

photographie Aurélie Leplâtre

Ils ne trompent pas, nous faisons erreur : à force de balayer trop vite le réel, c’est la réalité des choses qui nous échappe. A moins qu’à contempler longuement le monde, on en fasse se dérober la tangibilité.
Au lieu de forger un décor spectaculaire au moyen d’expédients pauvres, Dominique
Ghesquière inverse la farce du trompe-l’oeil. Elle refabrique ou fait refabriquer en usine ou en
atelier – l’émerveillement technique doit rester secondaire – des objets ordinaires (vaisselle
blanche, mobilier basique, outils de bricolage, échafaudage, etc.) dans des matières inadéquates ou portant les traces d’une usure artificieuse. Tandis que les assiettes arborent dès leur cuisson des entailles de couteaux, escabeau supplante l’aluminium léger de l’objet industriel par du biscuit de faïence, intouchable, blanc et cassant. L’objet contrarie ainsi notre habitude à substituer à la compréhension progressive du monde sa reconnaissance instantanée. Mais, l’opération, autrefois automatique, par laquelle on déduisait d’un verre qu’il était en verre, ou d’une brique qu’elle était de terre, est à présent révisée par la diversification de matériaux, ersatz caméléons.

Comme le titre d’exposition " penser rêver" le suggère, il faudrait donc freiner nos
observations et nos jugements au bénéfice de la contemplation et du doute. Les gouttes qui
perlent aux carreaux de pluie permanente ne sont pas d’eau mais de verre : l’écoulement du
temps n’a plus lieu. Mur de sable réunit des pains de sable dont les grains seraient sinon
éparpillés. Tapis juxtapose momentanément des brins de laine, sans liaison aucune. Sur une
portée unique, partition pour tous aligne des notes de musique le long d’un bandeau de douze
mètres, substituant aux feuillets des traditionnelles partitions l’enroulement continu de la bande magnétique. Ponctuée par des "indications de jeu" - doux, calme, nerveux ou sans prendre de respiration - partition pour tous assure une liaison des tonalités, autant sur le papier que dans l’imagination. Quatre oeuvres qui marquent la fixation d’un rassemblement, qu’un coup de vent ou un coup de pied pourraient disperser. "Vague scélérate", exposition récente de l’artiste à La BF15 (Lyon), montrait d’ailleurs un parquet dont les lattes semblaient avoir été soufflées par une bourrasque violente. Escabeau, rideau de fer et journaux brodés s’affirment en revanche comme des répliques solides, à condition, encore une fois, d’en bannir l’usage.

Le journal, objet traité à plusieurs reprises par l’artiste, d’abord translucide puis chiffonné,
acquiert une nouvelle matérialité : quelques pages choisies pour leurs titres étrangement
poétiques et leurs images plaisantes sont converties en broderie industrielle sur coton. Report
textile rappelant les livres en tissu pour enfants, indéchirables et non coupants. Mais l’actualité, brodée en petits caractères et purifiée de toute dépêche périssable, paraît illisible. Encore une manière de figer le temps dans une contemplation distraite et rêveuse. Les objets de Dominique Ghesquière contraignent le familier à se dérober insensiblement : formellement identiques, matériellement autres, ils piègent notre prétention à vouloir voir et comprendre simultanément.
Hélène Meisel