Dominique Ghesquière a passé l’automne en résidence sur l’île de Vassivière, dans le Limousin. Une expérience de solitude, une immersion dans la nature embrasée avant son long sommeil hivernal dont les brises froides apportent la nouvelle. Un temps mort, un temps de recherche enfin, qui a abouti au fond du lac, sur cette terre révélée tous les vingt ans pendant la vidange du barrage électrique et qui renferme le souvenir d’un monde englouti.
La deuxième exposition au Centre international d’art et du paysage de Vassivière sous la direction de Marianne Lanavère signe la poursuite d’une programmation pensée en dialogue avec le site, qui promet de donner matière à renouveler les arguments critiques sur les descendances du land art au regard d’attitudes contemporaines et, en l’occurrence, assez peu connues. Une fois de plus l’architecture immodérément postmoderne d’Aldo Rossi met au défi une oeuvre qui trouve ici l’espace de se déployer en manifestant sa cohérence.
Attentif aux forces élémentaires et aux comportements des matériaux, le plus souvent naturels, l’art de Dominique Ghesquière prend ici le parti d’un geste économe - bien que musclé et laborieux - de déplacement, du dehors vers le dedans.
Dans le phare s’amassent les feuilles mortes poussées par le vent ; elles constituent un corps informe, blotti contre le mur d’enceinte, étrangement animé par une légère respiration. Dans la nef, l’artiste a recouvert le sol d’argile qui en séchant s’est discrètement rétractée (s’éloignant des plinthes de l’espace d’exposition comme pour signaler son autonomie) et terriblement fissuré, figurant le paysage aride et désolé du lac vidé : une apocalypse furtive. Déjà cette "matière-émotion", comme la nomme le poète Michel Collot dans le texte du catalogue, enchâsse un plus ample récit que celui du lac artificiel ; elle évoque, par une expérience physique très particulière, l’évaporation du fluide vital (l’eau du lac comme la sève des feuilles).
L’installation semble-t-elle redire un geste minimal (d’un Walter De Maria par exemple), elle serait à rattacher au genre de la vanité. L’importation de la nature dans l’espace d’exposition chez Dominique Ghesquière paraît transposer l’acte de cadrage de la photographie ou de la peinture de paysage, son inscription dans le champ de l’art permettant d’enfin la regarder. Son œuvre est à n’en pas douter traversée par la question de la représentation à laquelle répond une abstention, sa substitution par un déplacement du vivant dans un cadre où il est voué à mourir. Cette mélancolie sévère nous atteint toujours par une image douce, comme cette peinture très diluée sur le sol de la salle située au niveau -1, faisant apparaître en transparence sur le béton un évènement fugace observé à la surface de l’eau. Le désir de goûter la nature, d’accéder au réel est différé dans une frustration contemplative. La violence cachée dans l’ombre d’une œuvre aux allures bucoliques s’aperçoit à l’étage dans un chaos de fils à haute tension d’une étonnante force plastique. Contrastant prodigieusement avec ces lianes d’acier débridées, la dernière salle voit pousser un champ de fougères fanées, délicats morts-vivants qui barrent l’accès à l’unique petite fenêtre permettant d’observer la lac. Pour de bon, la vision poétique formule à qui osera l’entendre un message politique grave et ce en suscitant une forme d’émerveillement devant ce qui atteste pourtant d’une disparition (de la nature et du réel), la logique trouvant une terrifiante symétrie dans ce lac créé pour des besoins énergétiques avant d’y développer un "tourisme vert".
Julie Portier
DOMINIQUE GHESQUIERE, TERRE DE PROFONDEUR,
jusqu’au 31 mars, Centre international d’art et du paysage, Ile de Vassivière,
87120 Beaumont-du-Lac, tél. 05 55 69 27 27,
www.ciapiledevassiviere.com
www.uncoupdedés.net