< Mimetic, Jean-Marc Huitorel, 2007 Notice Frac Bourgogne, Hélène Meisel, 2009 >

Penser rêver, Hélène Meisel, 2009

Communiqué de presse exposition ’Penser rêver’, galerie Chez Valentin, 2009

Dominique Ghesquière vit et travaille à Paris. À l’issue de ses études à l’École des Beaux-Arts de Lyon, elle a passé deux années en résidence à la Rijksakademie d’Amsterdam (2002-2003). Le Frac Bourgogne a acquis dans sa collection six de ses oeuvres et prépare pour 2010 la publication d’un catalogue monographique. Le trompe-l’oeil tient dans la pratique sculpturale de Dominique Ghesquière un rôle
temporisateur beaucoup plus subtil que le spectacle de la peinture illusionniste, immédiat et époustouflant, à force de perspective convaincante et d’imitation minutieuse : un coucher de soleil peint en bout d’impasse, les veines d’un marbre dessinées sur la cheminée. L’illusion chez Dominique Ghesquière n’a rien du cache-misère. Là où le trompe-l’oeil ment, maquille et abuse notre perception, ses objets délivrent avec une lente sincérité leur vraie nature, sans crânerie technique, sans malice, et surtout, sans prétendre être autres. Ils ne trompent pas, nous faisons
erreur : à force de balayer trop vite le réel, c’est la réalité des choses qui nous échappe. À moins qu’à contempler longuement le monde, on en fasse se dérober la tangibilité.
Au lieu de forger un décor spectaculaire au moyen d’expédients pauvres, Dominique
Ghesquière inverse la farce du trompe-l’oeil. Elle refabrique ou fait refabriquer en usine ou en atelier – l’émerveillement technique doit rester secondaire – des objets ordinaires (vaisselle blanche, mobilier basique, outils de bricolage, échafaudage, etc.) dans des matières inadéquates ou portant les traces d’une usure artificieuse. Tandis que les assiettes arborent dès leur cuisson des entailles de couteaux, escabeau supplante l’aluminium léger de l’objet industriel par du biscuit de faïence, intouchable, blanc et cassant. L’objet contrarie ainsi notre habitude à substituer à la compréhension progressive du monde sa reconnaissance instantanée. Mais,
l’opération, autrefois automatique, par laquelle on déduisait d’un verre qu’il était en verre, ou d’une brique qu’elle était de terre, est à présent révisée par la diversification de matériaux, ersatz caméléons.
Comme le titre d’exposition « penser rêver » le suggère, il faudrait donc freiner nos
observations et nos jugements au bénéfice de la contemplation et du doute. Les gouttes qui perlent aux carreaux de pluie permanente ne sont pas d’eau mais de verre : l’écoulement du temps n’a plus lieu. Mur de sable réunit des pains de sable dont les grains seraient sinon éparpillés. Tapis juxtapose momentanément des brins de laine, sans liaison aucune. Sur une portée unique, partition pour tous aligne des notes de musique le long d’un bandeau de douze mètres, substituant aux feuillets des traditionnelles partitions l’enroulement continu de la bande magnétique. Ponctuée par des « indications de jeu » - doux, calme, nerveux ou sans prendre de respiration - partition pour tous assure une liaison des tonalités, autant sur le papier que dans
l’imagination. Quatre oeuvres qui marquent la fixation d’un rassemblement, qu’un coup de vent ou un coup de pied pourraient disperser. « Vague scélérate », exposition récente de l’artiste à La BF15 (Lyon), montrait d’ailleurs un parquet dont les lattes semblaient avoir été soufflées par une bourrasque violente. Escabeau, rideau de fer et journaux brodés s’affirment en revanche comme des répliques solides, à condition, encore une fois, d’en bannir l’usage.
Le journal, objet traité à plusieurs reprises par l’artiste, d’abord translucide puis chiffonné, acquiert une nouvelle matérialité : quelques pages choisies pour leurs titres étrangement poétiques et leurs images plaisantes sont converties en broderie industrielle sur coton. Report textile rappelant les livres en tissu pour enfants, indéchirables et non coupants. Mais l’actualité, brodée en petits caractères et purifiée de toute dépêche périssable, paraît illisible. Encore une manière de figer le temps dans une contemplation distraite et rêveuse. Les objets de Dominique Ghesquière contraignent le familier à se dérober insensiblement : formellement identiques,
matériellement autres, ils piègent notre prétention à vouloir voir et comprendre simultanément.