< Hôtel Bouchu d’Esterno, Dijon, 2005 Penser rêver, Paris, 2009 >

Hôtel Bouchu d’Esterno, Dijon, 2005

échafaudage, pneus, journaux
  • échafaudage, pneus, journaux
  • journaux
  • pneus lisses
  • pluie permanente
  • pluie permanente
  • carte du monde
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  • assiettes
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  • le salon
  • lustre
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échafaudage, pneus, journaux

Elles habitent de manière éparse et pourtant dense cette riche demeure sur laquelle semble s’être déposé le voile du temps.

Fidèle à sa mission de production et de diffusion artistique, le Frac Bourgogne investit régulièrement des lieux divers dans la région, expositions d’œuvres de la collection ou invitation à des artistes. Pour la deuxième année consécutive, la proposition répond à l’architecture fastueuse de l’Hôtel Bouchu d’Esterno. Après Didier Marcel, c’est au tour de Dominique Ghesquière de mettre ses œuvres en résonance avec cet ancien hôtel particulier. Formée à l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon, puis résidente à la Rijksakademie d’Amsterdam durant deux années, elle expose depuis les années 2000 dans divers lieux en Europe.

Les œuvres de Dominique Ghesquière ne sont pas inconnues puisqu’on a pu les découvrir l’an dernier lors de l’exposition collective Ascenseur pour Rio au Frac Bourgogne ou cet été, lors de l’exposition Le Génie du lieu, au Musée des Beaux-Arts de Dijon. Très représentatives de la démarche de l’artiste ces œuvres intriguaient tout à la fois par leur familiarité d’objet du quotidien et leur soudaine étrangeté née des légères interventions apportées par l’artiste. Cette étrangeté repose sur le fait que l’objet a perdu toute fonction, miroir qui ne renvoie plus de reflet, canapé sur lequel on ne peut plus s’asseoir, journaux qu’on ne plus lire. Dominique Ghesquière s’intéresse à la manière dont ces objets peuvent devenir sculpture en étant déplacés, « mais surtout parce qu’ils proposent une déstabilisation qui ne s’effectue que dans un acte de présence » (Marie de Brugerolle). A travers cette expérience même des choses, Dominique Ghesquière semble révéler une illusion sur laquelle reposerait le monde des objets tout autant que celui des hommes. Elle « transforme le monde de manière subtile, en minant de l’intérieur et avec humour, les fondements de nos conventions visuelles et tactiles » (idem). Ce trouble entraîne pour le spectateur une certaine déstabilisation concernant sa propre existence, comme face à un monde qui changerait d’état, de densité, de temporalité. Cette question du temps est au cœur de la manière dont Dominique Ghesquière s’est installée dans l’Hôtel d’Esterno.

En effet, l’ensemble de l’exposition est tout d’abord rythmé par le son de la vidéo Le salon (2000), diffusé dans le hall et les deux salles adjacentes. La pièce de référence qu’est le salon, pour son confort ou son enjeu social de représentation, est révélé ici dans toute sa vacuité mais aussi éventuellement la violence de sa convention, dans la manière dont Dominique Ghesquière nous le donne à voir. Ce son omniprésent envahit tout l’espace mental du spectateur.
Le grand salon de l’Hôtel Bouchu d’Esterno est lui-même investi d’objets incongrus au milieu d’un tel faste. Echafaudage, journaux et pneus évoquent l’idée d’un lieu abandonné, éventuellement en chantier. A bien y regarder, les objets sont eux-mêmes étranges, les Journaux (2003) sont posés au sol comme s’ils étaient chargés de parer dans l’urgence à un dégât des eaux. Les Pneus lisses (2001) ont perdu leur identité en même temps que leur empreinte. Quant à l’Echafaudage (2003), il est fait du même matériau que ce qu’il sert éventuellement à construire, du béton. Dans une autre salle, seuls demeurent deux indices éventuels d’une vie passée, un Lustre (2003) et une Carte (2005). Une fois de plus, Dominique Ghesquière inverse la relation entre le matériau ou la représentation et son référent. Le lustre a perdu ses globes d’ampoule et le filament peine à éclairer, sans le vide qui lui permet habituellement l’incandescence. Quant à la carte, il s’agit d’une production réalisée à l’occasion de cette exposition. Dans la verrière, le Rideau (2000) a conservé le passage de quelque bourrasque, mouvement du vent ou du temps figé par la matière. La pièce du fond est elle aussi comme en suspens. Quelques Assiettes (2002) en porcelaine blanche sont à peine déballées d’un carton posé à même le sol, dans un angle. Elles portent des marques profondes, comme si les couverts avaient réussi à entamer en même temps que la matière, la raison même des assiettes, leur capacité à résister. Pluie permanente (2003) apporte à cet ensemble une touche de nostalgie. Car, si toutes ces œuvres confèrent aux objets un caractère d’accessoire, sans importance, elles renvoient aussi à l’humain et à sa condition. Les œuvres de Dominique Ghesquière en sont autant d’images, nées de situations vécues, rêvées ou imaginées, et viennent rendre fragiles les certitudes du regard et du monde.

Claire Legrand