< Corinne Rondeau, 2011 Marie-Louise Botella, 2012 >

Emmanuel Posnic, 2012

Exposition ’Septembre’, Galerie Bertrand Baraudou

Si le travail de Dominique Ghesquière n’emprunte rien à la séduction du trompe-l’oeil, il puise tout de même dans la rhétorique du faux-semblant. Les oeuvres qu’elle réalise prennent différents aspects : ce sont des objets de vie, que l’on utilise au quotidien ou qui composent le paysage commun. Grillage, escabeau, journal papier, mur de briques, tapis de salon. Tous ici supplantés par leurs artefacts. Des artefacts à ne pas considérer comme identiques donc. Disons plutôt similaires. Comme une espèce de gémellité contrariée qui ne se voit pas au premier regard mais s’observe pourtant à plusieurs endroits.
Ce sont d’abord les matériaux qui creusent la dissonance. Un escabeau réalisé en biscuit de faïence (escabeau, 2008), un mur de briques sculpté avec du sable (Mur de sable, 2008), un quotidien dont les pages (textes et images) sont repris en broderie (journaux, 2009). Chaque objet-sculpture s’en réfère à l’objet d’origine bien qu’il s’en éloigne dans la matérialisation. Nous ne sommes ni dans l’hyperréalisme, ni dans la redite du ready-made. Dominique Ghesquière réinvente l’objet par son contraire. La stabilité du mur mise au pas par la fragilité du friable. L’urgence de l’information réduite à néant par la patience du fil brodé. La banalité de l’escabeau balayée par la pureté de la porcelaine. A tous les coups, c’est une manière d’aborder le sacro-saint « modèle », celui sur lequel s’est fondée l’histoire de l’art occidental depuis Platon, par le pléonasme.
Au-delà du glissement par l’absurde, Dominique Ghesquière fabrique des images tangibles du monde réel. Le flou qu’elle cultive dans la désignation des objets pointe une sorte de contradiction et paradoxalement une certaine forme d’habileté à activer nos désirs mélangés de consommation.
Entre le multifonction, synonyme de consommation « intelligente » et la pièce unique, ultime raffinement de la consommation de masse, il s’agit toujours de s’approprier les objets et de les entourer de récits propre à satisfaire les tendances de la vie moderne.
D’où ces items qui fleurissent (l’écologie, le durable, le bien-être, la tradition, l’innovation, la simplicité, le luxe) et que l’on applique à nos paysages familiers. En écornant le « modèle », en singeant sa banalité nue, Dominique Ghesquière nous dit à quel point regarder et utiliser l’objet ne suffit plus. Il faut aussi dorénavant lui redonner du sens.
Cette trajectoire inspirée du storytelling, le double-sculpté la dépasse. Détourner la matrice, c’est aussi pour Dominique Ghesquière un moyen de prolonger le temps de l’objet. De lui offrir l’éternité propre à l’oeuvre d’art. Cette permanence traverse justement les pièces où l’imminence est la plus forte : le journal imprimé en fil brodé, les partitions de musique écrites sur un bandeau continu simulant les bandes magnétiques (partition pour tous, 2007), les gouttes de pluie suspendues sur une vitre (pluie permanente, 2008), les pains de sable figés avant l’éparpillement en grains (le mur de sable se rattache également à l’imagerie des conflits armés et à toutes ces protections de fortune par essence transitoire).
A chaque fois, il s’agit d’annuler la perte, l’oubli, la superposition. Pour fixer des états, des séquences, des moments dans la confusion de l’instantané.
« Penser rêver », comme le dit le titre, c’est maintenir ce juste équilibre entre l’éternité et le présent, le factice et le réel. Entre l’objet-icône et l’objet usuel. Pour Dominique Ghesquière, l’un ne va pas sans l’autre.